Jean Claude
MARTINEZ
Parlement , Commission , Conseil , Cour de justice ... Qui gouverne l’Europe ?
En sortant de la gare du midi à Bruxelles et en remontant l’avenue Louise, pour tourner sur la droite au sommet , on arrive dans le quartier européen . Avec d’abord sur la droite en descendant un mastodonte bunkérisé de verre et d’acier : le Parlement européen . Sinistre du côté rue Wiertz par où entre les députés, il est sympa côté place du Luxembourg , par où entre les visiteurs . Là, c’est un peu la place du Palais Bourbon à Paris. Avec trois cafés, quatre taxis et un peu de vie
Si on laisse le Parlement sur la droite et que l’on redescend tout droit, on arrive place Schuman. C’est le quartier du deuxième paquet des institutions européennes. Avec le Conseil des ministres et la Commission européenne. Même sans jamais y être allé on le reconnaît spontanément. Parce qu’il n’y a pas de passant, pas de marchand, pas même de chat errant. Rien. C’est le cœur de l’Europe !
Pour la Cour de justice, inutile de la chercher, elle n’est pas là. Il faut prendre le train ou la voiture pour la trouver puisqu’elle est à Luxembourg , au nord de la ville , sur un plateau , dit de Kirchberg, au milieu des tours, des banques , des assurances , des salles de sport, d’un musée et même Auchan en supermarché .
Alors entre tous ces lieux où est le pouvoir ? A Washington on sait. Il suffit de regarder la Maison Blanche ou de rentrer au Congrès, de prendre un petit train à la Walt Disney et de marcher dans les petits couloirs de briques du Sénat et voilà. On comprend que le pouvoir est là. A Paris aussi, le pouvoir est vite situé. C’est à l’Elysée et c’est terminé.
Mais à Bruxelles où est le patron ?
Et d’abord patron de quoi ? De L’Europe ? Mais concrètement, l’Europe, budgétairement qu’est ce ? Réponse : un budget en 2018 de 144, 4 milliards d’euros de crédits de paiement. Soit, pour 500 millions d’européens et 27 pays, même pas la moitié des 329 milliards d’euros du budget 2018 de la seule France et même pas le budget de 220 milliards de l’ Espagne .
Par conséquent, quel que soit le patron qui commande en Europe, d’emblée il a bien peu de moyens financiers pour commander.
D’autant que ce sont les Etats qui continuent de tenir les cordons de la bourse. Mise à part une vingtaine de milliards d’euros annuels de droits de douane, l’Europe n’a pas en effet de ressources fiscales à elle . Comme l’ONU, elle ne vit que des contributions de ses Etats.
Ceci étant quel est le patron ?
Le Parlement européen : danser sur un seul pied
Sur le papier des traités, le Parlement européen a presque tous les pouvoirs. A commencer par le pouvoir financier. Puisqu’à égalité avec le Conseil des ministres il décide des dépenses budget. Au point qu’à plusieurs reprises il a pu les rejeter.
Mais pour autant, il n’a pas le pouvoir fiscal. Il ne vote pas d’impôt, puisque l’Europe n’en a pas encore. Ce n’est donc juridiquement qu’un Parlement à 50 %. De plus, comme tous les Parlements du monde, le Congrès des Etats Unis excepté, il est politiquement inféodé à l’exécutif. Parce que chacun de ses députés, s’il veut être réélu, doit obéir à son parti et à travers lui, si celui ci est au gouvernement, au Conseil des ministres européens qui est précisément l’organe des gouvernements.
De fait la pratique confirme. Les députés du Parlement européen, forcément pour tenter d’être réélus, finissent toujours, depuis 40 ans, par se soumettre aux volontés du Conseil des ministres européen. Il en va un peu de même pour la Commission européenne qui ne règne qu’autant qu’elle n’a pas à affronter des dirigeants politiques nationaux d’envergure.
La Commission européenne : l’institution vieillie .
Médiatiquement et pour l’opinion, l’Europe c’est la bureaucratie de Bruxelles. C’est donc la Commission aux 33 000 eurocrates. De fait, les grandes décisions stratégiques, comme l’abandon , dans les années 90, de la PAC , avec ses quotas, ses prix garanties et sa préférence communautaire surtout , émanent de la Commission. C’est toutefois une vision datée. La Commission européenne impériale, ce n’est en effet que 1984 – 1994, sous présidence de Jacques Delors et peut être la Commission Hallstein en 1965 que De Gaulle affronta avec sa politique de la chaise vide.
Mais qui se souvient encore qu’il y a eu une Commission Santer , contrainte d’ailleurs à la démission , une commission Manuel Marin en 1999, ou une autre présidée par il profesore Romano Prodi jusqu’en 2004 ?
En 2008-2009, au plus fort de la crise économique, croit on vraiment que la Commission Barroso a dirigé l’Europe au moment de ces tempêtes ? Et en 2015, quand les vagues de migrants ont déferlé sur l’espace Schengen, qui a dirigé, la Commission Juncker dépassée ou les Etats à la manœuvre, dont l’ Allemagne d’ Angela Merkel ?
La Commission européenne ne commande en vérité que dans l’espace que l’affaiblissement du leadership politique des chefs Etats lui laisse. Parce que le Conseil européen, réunissant ces chefs des 27 exécutifs nationaux, et le Conseil des ministres, ont encore et toujours le monopole de la force. S’ils parlent fort, la Commission se tait . Mais quand ils ne veulent pas exercer leur pouvoir de commandement, au prétexte de l’impossibilité de décider à l’unanimité, les souris eurocrates de la Commission européenne sortent de la montagne de papier dont elles ont accouchée et grignotent les moustaches souveraines des chats étatiques ronronnant sur leurs 27 sièges dorés.
Le Conseil des ministres européen : le double jeu
C’est dans le domaine de la fiscalité, avec l’évasion massive de la matière imposable pratiquée par les grandes sociétés et tolérée par les Etats, voire organisée par eux, que se révèle cette vérité sur la localisation du pouvoir en Europe et que se révèle aussi le double jeu des dirigeants politiques nationaux.
Par exemple, depuis le 16 mars 2011, pour lutter contre l’évasion fiscale des multinationales, transférant leurs bénéfices vers l’Irlande, les Pays Bas ou le Luxembourg, la Commission européenne a présenté le texte complet d’un projet de directive permettant de les taxer avec efficacité, quel que soit le pays européen où elles délocalisent l’argent de leurs activités . Si les dirigeants des 27 Etats souhaitaient vraiment mettre fin à cette évasion fiscale, depuis 7 ans ce texte qui apporte la solution aurait été adopté. Même avec la difficulté de recueillir l’unanimité des votes des Etats, et donc évidemment des votes des Etats fiscalement voyous, organisant eux mêmes les conditions de cette évasion fiscale continentale .
Parce que des moyens existent en effet pour faire plier les dirigeants des ces Etats. Il suffit pour s’en convaincre de se repasser les images du sommet du G20 à Cannes début novembre 2011. On y voit le premier ministre grec , G. Papandreou arriver seul dans la nuit du mercredi 3 novembre , avec personne sur les marches du Palais pour l’accueillir C’est qu’il ne venait pas assister à un festival, mais subir plus de deux heures de pressions violentes nocturnes exercées par le président Nicolas Sarkozy et la chancelière allemande pour le faire renoncer à soumettre au vote des Grecs le plan d’austérité exigé par les dirigeants européens. Au petit matin de cette garde vue politique, le premier ministre grec, pareil à la petite chèvre de monsieur Seguin, a été vaincu. Les grecs n’ont pas été consultés.
On a eu là la démonstration que lorsque les deux grands de l’Europe veulent imposer à un « petit Etat » leur solution , celui ci ne peut plus dire non. Si l’ Irlande , le Luxembourg et quelques autres « petits » continuent alors à s’opposer au projet de directive qui mettrait fin à l’essentiel de l’évasion fiscale européenne, c’est bel et bien, faute de subir les pressions politiques adéquates pour les faire céder, qu’ils ont l’aval discret des autres Etats .
Sur ce sujet majeur de la lutte contre l’évasion on voit donc bien le double jeu des Etats. Pour apaiser les opinions publiques remontées contre les affaires d’évasion Luxleaks ou Panama papers, on proclame médiatiquement la lutte et on annonce quelques mesures fumigènes de répression. Mais pour se concilier les grandes forces économiques dont les multinationales, les Etats se gardent d’adopter la directive efficace proposée par la Commission européenne. Se réfugiant derrière le prétexte de la nécessaire unanimité.
C’est dire qu’il y a bien une cabine de pilotage dans l’avion européen, mais que le plus souvent, en fonction des grands intérêts financiers , le pilotage automatique y a été branché. L’avion européen suit alors le programme de « vol ». Au de sens du terme voler.
C’est d’ailleurs pareil pour la Cour de justice de l’Union européenne qui fonctionne avec le logiciel idéologique de toutes les cours fédérales, une sorte de windows du fédéralisme
La Cour de justice de l’Union européenne : le pouvoir silencieux
On ne la voit pas dans les médias , mais elle est là .Depuis plus de 50ans , à coup de 700 arrêts par an , elle veille non seulement à assurer le grand marché unique européen, avec les libertés pour les sociétés d’aller et venir de pays à pays , de s’installer et d’optimiser, mais elle veille surtout à asseoir son pouvoir impérial , contrôlant tout , même la politique internationale des Etats de l’Union..
Le dernier exemple saisissant de cette volonté de puissance de la Cour est du 27 février 2018. Saisie indirectement à l’initiative du Polisario, en guerre saharienne de 40 ans avec le Maroc, la Cour devait dire si un accord international de pêche , conclu en 2006, entre Rabat et l’ Union européenne, pour autoriser 126 navires portugais et espagnols , à venir pêcher dans les eaux du Royaume, violait les principes de la Charte des Nations Unis et spécialement le droit des peuples à disposer d’eux mêmes.
Bien que n’étant qu’« européenne » et non planétaire, la Cour n’a pas hésité. Elle a apprécié la validité de l’accord international, concernant 28 pays souverains, plus le Maroc, pour dire qu’il ne pouvait s’appliquer aux côtes et aux eaux du sud marocain. Autrement dit, les Etats de l’Union , la Commission européenne et le Conseil des ministres européen , ne peuvent plus conduire la politique internationale qu’ils veulent . En dernier ressort, c’est la Cour qui décide. Et tant pis pour les conséquences, non pas immédiate pour les pêcheurs européens n’ayant plus le droit de pêcher dans les eaux du sud marocain, mais surtout potentielles en effet dominos
On court maintenant en effet le risque de voir n’importe quelle association d’indépendantistes catalans , kurdes, palestiniens, touaregs , voire d’allemands , saisir comme le Polisario la Cour européenne et lui demander l’annulation des accords commerciaux passés par l’ Europe avec l’ Espagne , la Turquie , lsraël , le Mali ou la Pologne. Au motif que pareil au Maroc au Sahara , ce serait là des Etats « coloniaux occupant » qui la Catalogne , qui les territoires Kurdes, la Palestine, le nord Mali ou les 103 000 km2 de territoires « colonisés » par la Pologne depuis juillet 1945 .
Pire, en déstabilisant l’opinion publique marocaine et en fragilisant la position de Rabat sur ses territoires sahariens , où il assure pour l’ Europe le contrôle des flux migratoires venant d’ Afrique, la Cour de justice , toute à l’ivresse de son pouvoir dont elle est seule à déterminer les bornes , a pris le risque de fissurer le grand barrage intercontinental marocain qui retient à lui seul bien des eaux de l’océan démographiques sub- saharien .
Autrement dit , lors des élections européennes de mai 2019 les débats vont porter sur l’Euro certainement, les eurocrates de la Commission européenne inévitablement, le Parlement européen accessoirement, mais à coup sûr , le seul vrai centre de l’idéologie fédérale européenne et le vrai patron en dernier recours de l’ Europe, à savoir la Cour de justice de l’ Union , sera une fois de plus en dehors des discussions .
C’est ce voile qu’il va falloir lever et ce silence qu’il faudra rompre.
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