Jean Claude MARTINEZ 2017,actualité
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 Le 4 Octobre 2016. Un accord vient d’être   trouvé, entre les universités et les syndicats étudiants, pour résoudre le problème fabriqué de toute pièce de l’admission en master. De quoi s’agit-il ?

 

Des décennies durant, sinon des siècles durant, tout étudiant pouvait suivre tout le parcours universitaire jusqu’à un doctorat, couronné par une thèse et le titre de docteur. Cela fonctionnait normalement dans une communauté universitaire où une seule idée régnait en maître : « au banquet de l’intelligence et des savoirs il y a de la place pour tous les étudiants ».

 

Depuis deux décennies toutefois, comme venu des forêts de l’économie anglo-saxonne et ayant déjà contaminé nombre de décideurs politiques d’Europe et du monde, un virus idéologique s’est transmis aux dirigeants universitaires. Avec un tableau neurologique    au niveau de l’aire de Broca du langage. Les contaminés prononcent en effet toujours les mêmes mots : « performance », « rentabilité », « marché », « coût », résultat », « sélection ».

 

Cette pathologie, apparemment nouvelle, n’est en réalité que l’expression linguistique d’une affection plus générale et plus ancienne, puisque observée pour la première fois au XVIIIème siècle, chez un pasteur anglais du nom de Malthus. D’où le nom de  malthusianisme,  pour ce syndrome ,  appelé  parfois aussi  économisme.

 

Dans le monde des universités, françaises, européennes,  sinon du monde, cette affection s’est cristallisée  à Bac +4. C’est à dire au niveau de ce  que l’on appelait  en France les DEA et DESS, au Maroc les CES, et maintenant les masters, depuis la création en 2010 de l’espace européen de l’enseignement supérieur , constitué de 47 Etats , Turquie et Russie comprise, plus l’Afrique . Tout cela au terme d’un processus, dit  de Bologne,  amorcé après la déclaration de la Sorbonne du 25 mai 1998.

 

Concrètement, un étudiant sorti de licence, après 3 années , continuait normalement une 4ème année, connue sous le nom de master 1. Ensuite il pouvait faire une 5ème année, appelée master 2 et après, s’il le souhaitait, il commençait une thèse lui donnant le titre de docteur.

 

Sous des  prétextes fallacieux, depuis quelques années des universitaires et des universités  se sont mis à parsemer d’obstacles ce parcours  jusqu’ici naturel. Par exemple, un chercheur devra faire sa thèse de droit en 3 ans. Pourquoi 3 ans ? Pourquoi pas 4, pourquoi pas 2 ? La raison objective est aussi inexistante  que celle du  plafond révélé des 3% de PIB de déficit budgétaire  autorisé par le traité de Maastricht. Ce chiffre est stupide. Le Nobel Stiglitz le rappelle encore dans son dernier livre (Comment  la monnaie unique menace l’avenir de

 l’ Europe, Les liens qui libèrent , 2016) .Mais c’est ainsi.

 

Pour les masters 2, des directeurs les dirigeant se sont mis à mettre des sélections. Sur quelles bases ? L’examen des dossiers ? Par qui ? Par le directeur du master seul. Sur la base de quels critères ?  Critère inconnu, non précisé, non objectivé. Certes  en tenant compte par exemple de mentions à la licence, mais pas seulement. L’air du temps, le « mainstream », le subjectif,  voire l’orgueil, sont aussi entrés en ligne de compte .

 

Je donne un exemple. De 1983 à 2000, je donne l’enseignement  de droit fiscal général et j’anime  les séminaires de doctorat  du master Finances publiques et fiscalité de l’Université Paris 2. Depuis sa fondation, il ne comporte aucune  barrière à l’entrée. Tous les vendredi soir de 19H à 22H et les samedi matin de 9h à 11h, dix sept ans durant, 90 à 120 étudiants suivent annuellement ce master. C’est même un rendez vous fiscal. Chaque semaine des anciens doctorants, devenus avocats, directeurs  d’administration fiscale,  secrétaire général de l’Organisation mondiale des douanes, professeurs, au Maroc, au Mexique, en Chine,  de passage à Paris, viennent librement  à ces vendredi    et samedi de la fiscalité. Il y a même, des années durant , Maurice Lauré , rien moins que l’inventeur de la TVA.

 

Au début de la décennie 2000, un nouveau directeur de master,  décide, seul, de mettre son filtre , son écluse. Il ne recrute plus qu’une trentaine  d’étudiants par an. Pourquoi ? Au nom de la sélection, justifiée par une mystérieuse élévation du niveau. Résultat : dans une salle où la veille 120 étudiants cherchaient, innovaient, pour le même coût de lumière, de chauffage et d’enseignants il n’ y en aura plus qu’une trentaine. En final, en 2009, il y en aura même  0, puisque la sélection conduit dans sa logique extrême  à ne sélectionner  forcément que le sélectionneur. Lui seul étant à son niveau.

 

Après les Restos,  les masters du cœur…

 

Et nous voilà au cœur de la sélection, avec ses non dits, ses tabous voire  sa corruption. Que va t il se passer en effet, dans le cadre du nouvel accord 2016 sur les masters. Quatre  dérives.

 

Dérive 1 vers le pharisianisme. En novembre 2016, une loi va proclamer le droit pour tout étudiant avec une licence à poursuivre sa vie  étudiante. Comme la loi Veil de 1976 avait  proclamé en préambule aussi  le droit à la vie, comme les lois Hollande,  sur l’organisation territoriale  ont proclamé  encore  le droit à la vie pour les communes, avant d’en faire disparaître des centaines par les fusions sous chantage financier.

Dérive 2 vers  des filières masters des pauvres

Les étudiants vont donc avoir  le droit reconnu de continuer leurs études et en parallèle les universités vont avoir le droit de  les sélectionner ,  cette fois-ci  officiellement. Sur dossier, sur concours, sur critères de leurs choix.  Dans le conflit de ces deux droits, lequel va l’emporter ? Evidemment le droit à la sélection. D’ailleurs  l’accord  d’octobre 2016 prévoit qu’un décret organisera le sort des étudiants recalés, c’est à dire privés du doit de continuer leurs études. Ils auront un recours  possible auprès du recteur.

 

Mais  de juillet à  septembre, que  pourra faire  le recteur pour  ces étudiants qui ont un droit au master mais qui ont été refusé en master ? Il les fera inscrire d’office en master ? Evidemment que non. Où  iront – ils  alors ? Dans un master de refugiés à Calais ?

 

Le recteur  ne pourra que rechercher les quelques places de master disponibles en France et   répartir les recalés comme des syriens étudiants à caser dans des universités d’accueil ou dans des ersatz de master. Qui seront évidemment   des places pour les pauvres.  Des sortes  de « masters du cœur »  que les Coluche recteurs dégoteront   sur la carte universitaire du pauvre. 

 

Les  quelques recalés riches partiront à la Catho rue d’Assas , de Lille ou d’ailleurs, en Roumanie , Belgique , Algérie, comme le font déjà les recalés du numerus clausus de médecine. Mais la masse des recalés pauvres, constituée des  derniers survivants des étudiants fils et filles d’ouvriers ou  de petits employés, qui avaient survécus dans la précarité aux 3 années de licence, vont avoir droit à des sortes de masters professionnels d’universités de banlieues, comme les jeunes de Creil ont aussi le droit d’aller au lycée, mais qui n’est pas celui que fréquentent  les petits sélectionnés d’ Henri IV ou d’ Hélène Boucher.

 

Que va t il alors se passer ? La vérité va très vite se diffuser et chacun essaiera de sauver sa peau comme il pourra. Avec les seuls moyens à la disposition des pauvres acculés dans ces cas là. Comme on fait déjà dans le monde de  la GPA pour survivre ou  du cobaye pour les nouveaux médicaments des laboratoires, quelques   recalés  iront sauter  l’obstacle, avec leurs moyens du bord. Comme certains de leurs   camarades d’universités  d’Afrique ou du Mexique où j’ai  enseigné, le font. La loi Belkacem de sélection  amènera de la corruption. Au degré de marginalité que  le tabou sinon l’omerta ne diront pas.

Sélection – corruption ?

 

Dérive 3 vers de la corruption. Madame la ministre sait que monsieur le président Laroussi  Oueslati,  de l’université de Toulon,  a été condamné pour corruption dans un trafic  d’inscriptions d’étudiants chinois. A ce niveau bien sûr c’est marginal. Tous les petits coups de pouce du favoritisme  artisanal et  sympathique, inhérents à la condition humaine et aux relations maître et disciples, ne font pas un risque sérieux de  grande échelle de corruption.

 

Avec la sélection officialisée qui va donner  au directeur de master  un droit  de vie ou de mort à la poursuite des études doctorales, c’est la mise en place d’un pouvoir et depuis Montesquieu , on sait que « toute personne qui a du pouvoir est portée à en abuser ».  Aux rapporteurs, de l’Assemblée nationale et du Sénat , qui vont rapporter sur le projet de loi instituant cette  sélection en master, peut être faut il leur suggérer  quelques brefs voyages d’information  et de droit comparé dans des universités d’autres continents . Ils y découvriront comment des étudiantes et des étudiants s’adaptent   pour « flexibiliser » la sélection et faire preuve de l’esprit de résilience cher à Boris Cyrulnik.

 

C’est qu’avec la sélection,  au nom de la performance et de la rentabilisation des moyens, chacun  des acteurs, sélectionneur et sélectionné,  doit rentabiliser sa situation . Et c’est cette quête de la rentabilité  qui porte   en germe du risque  naturel de  corruption.

 

 

Mais il y a  pire, avec le risque d’une  quatrième dérive vers la réduction du nombre des chercheurs étrangers. Dans la sélection évidemment, l’étudiant étranger, colombien, thailandais, chilien,  va subir le handicap de langue. Trois années durant, il aura ramé. Surtout avec l’angoisse chaque année de son titre de séjour à renouveler. Parce qu’en France si tout clandestin  a des droits, à l’ AME notamment, l’étudiant  entré avec papier et bien plus tracassé qu’un fiché S . ll  suffit  de se rappeler ce que la circulaire Guéant à fait vivre avant 2012 aux chercheurs étrangers. 

 

Le  dossier de l’étudiant étranger  sera  probablement moins bon.  A la sélection il sera donc moins bien placé.  De proche en  proche,  on risque  de voir alors l’université  se mono nationaliser et  s’appauvrir en réduisant son champ de recrutement. Déjà,  la suppression sotte des DSU , qui créaient une passerelle par où des centaines d’étudiants étrangers sont passés , comme un sas pour accéder au master , nous a privé , dans les facultés de droit, de Chinois, de latinos, d’indiens. Avec une sélection institutionnalisée , on va encore se priver d’un supplément d’étudiants amenant à leurs camarades français l’ouverture du champ visuel.

 

La sélection contre la francophonie

 

 Et s’il y a une sélection par concours, on verra alors une autre dérive vers la désafricanisation. Il faut  faire confiance en effet au « mainstream culturel » des  universitaires . Pour sélectionner, ils vont en effet caricaturer leurs références  à peine secrètes : Harvard, Columbia ,  MIT, Chicago et autres temples de la sélection. Des épreuves, écrites , orales, seront en anglais . Comme ont le fait déjà dès la première année. Sans parler des écoles d’avocat où il y a aussi de l’anglais. Pour être bien sûr que  le futur avocat dira  comme au cinéma : « exception votre honneur… ».

 

A ce jeu là, évidemment que les étudiants d’Afrique francophone  vont être défavorisés et peu à eu éliminés . La sélection va conduire en quelques décennies à l’affaiblissement de la francophonie, puisque les élites, de Rabat à Kinshasa , trouveront plus simple d’aller  apprendre à se sélectionner en anglais dans une université d’outre atlantique, que dans une caricature  française d’université américaine.

 

Voilà où va conduire la sélection en master. Si on en doutait, il  suffit  de voir qu’elle est soutenue par tous les candidats de la primaire de novembre . Or quand on sait ce que ces gens là ont fait, pendant qu’ils gouvernaient,  pour le déclin du rayonnement français, s’ils ont choisi la sélection en master, il faut leur faire confiance. Ce n’est  probablement  pas bon pour la France

Jean Claude Martinez

M COMME MASTER, M COMME MALTHUSIANISME
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